Brésil 2014: la colère d’un peuple
Le jeudi 12 juin dernier s’ouvrait la 20ème Coupe du Monde de Football au Brésil sur fond de tensions sociales dans les principales métropoles du pays. Les manifestations populaires, actuellement très médiatisées en France, secouent depuis plusieurs mois le gouvernement en place. Revenons sur les principales raisons qui poussent aujourd’hui le peuple brésilien à exprimer sa colère.
En l’espace de dix ans, le Brésil s’est vu profondément changé sur de nombreux aspects. La présidence de Luiz Inàcio Lula da Silva (2003-2011), a nourri l’émergence du pays sur la scène diplomatique internationale. Le peuple brésilien sort aujourd’hui d’un « complexe de chien battu » en se hissant au 7ème rang des puissances mondiales. Longtemps raillé pour le caractère inégalitaire de sa société (il y a dix ans, les 5% les plus riches détenaient autant de richesses que les 90% les plus pauvres), le pays affiche aujourd’hui fièrement les signes d’amélioration : 35 millions de brésiliens sont sortis de la pauvreté sous la présidence Lula et le Brésil compte parmi les pays émergents les plus influents sur la scène diplomatique mondiale. S’appuyant sur l’immensité d’un territoire riche en ressources naturelles, en particulier agricoles (le Brésil est souvent surnommé le « grenier du monde »), Lula avait réussi le difficile pari d’extraire le Brésil du giron étasunien : approfondissement de l’intégration régionale au sein du MERCOSUR, puis création de la CELAC (Communauté d’États latino-américains et caraïbes) en 2010, pour contrecarrer une Organisation des Etats d’Amérique accaparée par les Etats-Unis.
L’année 2014, déterminante pour le pays :
Néanmoins, à l’approche des élections d’octobre prochain, le climat social se charge d’électricité. Dilma Rousseff, la petite protégée de Lula, avait été élue en 2010, principalement grâce aux votes d’une population défavorisée, qui avait vu dans sa politique la juste continuité de la présidence précédente. Quatre ans après, la situation a changé : l’émergence d’une classe moyenne de 110 millions d’habitants rebat les cartes du jeu politique brésilien. Ce sont des jeunes issus de la classe moyenne qui avaient manifesté en juin 2013, une classe moyenne qui remet de plus en plus en question le système social, en particulier la « Bolsa Familia ». Cette série de mesures avait été adoptée en 2003 sous la présidence Lula et visait à mieux répartir l’aide sociale parmi la population. Les aides financières sont aujourd’hui jugées trop timides par une large frange de la population brésilienne et le Brésil reste encore l’un des pays les plus inégalitaires au monde. De plus, une inflation de plus en plus difficile à maîtriser mine l’économie, rendant parfois intolérable le coût de la vie pour les revenus les plus modestes. La fragilité économique de millions de foyers alimente les violences populaires et l’insécurité gagne de plus en plus de quartiers pauvres.
Sur le plan économique également, le miracle brésilien semble s’estomper. Certes, la puissance de son système agricole, véritable « agrobusiness » au Sud, et l’importance de ses ressources naturelles et énergétiques ont hissé le pays sur les rails de la croissance. Mais une croissance bien trop instable, et surtout en dent de scie : -0,6% en 2009, 7,5% en 2010, 0,9% en 2012 et 1,8% prévus en 2014. Surtout, cette croissance économique s’est opérée de façon très anarchique, à la fois sur le plan géographique (les clivages économiques restent très marqués entre le Nordeste et le Sudeste, beaucoup plus développé) et sectoriel (l’industrie agroalimentaire et la manne énergétique dominant largement dans l’économie brésilienne). Conjuguée à l’inflation, cette fragilité économique risque à terme de décrédibiliser le pays sur la scène internationale.
Les prochains mois seront donc déterminants pour le Brésil. Les manifestations de plus en plus récurrentes et violentes (le mouvement des « Black Blocs » s’est répandu à plusieurs villes du pays) mettent le gouvernement en place au pied du mur: il incombera donc au prochain président brésilien d’ajouter une dimension sociale aux aspirations diplomatiques de ce grand émergent d’aujourd’hui.